Lutinerie au pôle nord

Et si le 25 décembre, vos enfants en se levant ne trouvaient pas de cadeaux au pied du sapin ? Les chaussettes de noël sont vides, le vert de lait encore plein et personne n’a touché aux cookies. Ce cauchemar pourrait bien se produire si le conflit en cours au pôle nord ne trouvait pas d’issue favorable. Depuis hier, les lutins du père noël sont en grève pour une durée indéterminée pour protester contre l’ultimatum imposé par leur patron. Celui-ci a demandé aux lutins de travailler 40 heures par semaine au lieu de 35 sans compensation salariale pour rattraper le retard sur le planning d’approvisionnement. Si les lutins refusent cette proposition, le père noël menace de fermer son atelier du pôle nord pour sous-traiter la production dans des pays émergents et se recentrer sur l’activité de distribution qui présente une plus grande valeur ajoutée. Pour palier à cette grève, le père noël a déjà commencé la sous-traitance alors les lutins ne se contentent pas de débrayer mais organisent parallèlement une opération de blocage de l’atelier du père noël pour empêcher l’approvisionnement en cadeaux sous-traités et si la grève devait se poursuivre, ils pourraient aller jusqu’à empêcher le père noël de distribuer les cadeaux déjà fabriqués.
Pour comprendre comment la situation s’est envenimée à ce point, j’ai rencontré les deux partis :
Père Noël : « Lors du passage aux 35 heures, j’ai du augmenter considérablement les effectifs pour tenir les cadences et faire face à la demande toujours croissante. Pour limiter l’augmentation des prix, j’ai du rogner sur mes marges mais cette année, avec l’augmentation du prix des pâtes, mon budget matière premières a explosé, j’ai donc du diminuer la masse salariale en licenciant une partie des lutins. C’était ma seule solution pour ne pas mettre l’entreprise en difficulté. J’avais pensé que nous pourrions tout de même atteindre nos objectifs en rationalisant les process de fabrication mais depuis qu’ils sont en RTT un vendredi sur deux, ces lutins sont devenus des vrais feignasses et aujourd’hui on a deux semaines de retard sur le planning. Alors si vous ne voulez pas fêter noël à l'épiphanie, il va falloir que les lutins y mettent un peu du leur. Je voudrais bien leur payer ces heures supplémentaires mais les caisses sont vides. L’attitude des lutins n’est pas professionnelle, elle est même irresponsable, ils ont le destin de noël entre leurs mains et leur seul réaction est de prendre en otage des millions d’enfants. »
Pour comprendre comment le prix des pâtes influe sur les frais fixes du père noël, il suffit de consulter le rapport d’activité de « Santa Claus Workshop Corp. ». On y apprend que le père noël dessert 91,8 millions de foyers en cadeaux de noël. Lors de sa tournée, il parcourt 121 155 200 km avec un traîneau qui au début de la tournée pèse 321 000 tonnes. Pour réussir cet exploit, en considérant que le coefficient de pénétration dans l’air du traîneau du père noël est de 0,8 (hypothèse favorable par analogie avec la norme EN-13796-1 relative aux cabines d’installations à câbles transportant des personnes), les rennes du père noël doivent produire un travail de 145 833 389 788 599 000 000 Joules soit 34 855 016 679 875 500 000 Calories. Cette dépense énergétique correspond à 9 319 523 176 TEP (Tonne Équivalent Pâtes) car les rennes du père noël mangent des féculents comme tous les grands sportifs et on sait bien que le prix des féculents est indicé sur le prix des pâtes. On imagine alors aisément le poids que ce poste de dépense représente dans le budget du père noël et les difficultés de trésorerie auxquelles il doit faire face suite à l’augmentation de 20% du prix des pâtes.
Après avoir compris les difficultés du père noël, j’ai rencontré les lutins qui m’ont présenté une autre vision du conflit :
Représentant syndical des lutins : « Les vrais difficultés financières de « Santa Claus Workshop Corp. » viennent d’une mauvaise gestion du PDG (Père noël Directeur Général). Depuis l’entrée en bourse sur le marché des sociétés clandestines d’intérêt économique mondial en juin 2006, la gestion en bon de père de famille ne suffit plus. Les investisseurs demandent une rationalisation des coûts, une optimisation des moyens de production et surtout une transparence complète. Lors de la première assemblée générale en juin dernier, le père noël pour présenter son bilan s’est contenté d’une seule diapositive sur laquelle était écrite « Ho Ho Ho, on a bien travaillé cette année. », en un instant il a perdu toute la confiance des actionnaires. Voyant le cours de l'action s’effondrer, le père noël a paniqué, il a distribué 17 milliards d’euros de dividendes aux actionnaires et a licencié en nombre malgré les réserves du comité d’entreprise sur la réalisation des objectifs avec un effectif réduit. Aujourd’hui, il voudrait que les ouvriers payent pour les erreurs de leur dirigeant alors il invoque des excuses conjoncturelles. Je peux vous dire que lorsqu’il est parti en vacances dans sa résidence secondaire de l’île Christmas dans le pacifique avec son traîneau de fonction et qu’il a fait demi-tour à mi-chemin parce qu’il avait oublié son maillot de bain, il n’était pas vraiment préoccupé par le prix des pâtes.»
Les deux partis se renvoient à leurs incompréhensions et ne veulent pas céder, comme souvent dans les conflits sociaux c’est le soutien populaire qui en déterminera l’issue. J’ai donc réalisé un sondage auprès d’un échantillon représentatif de 7 enfants de 3 à 8 ans :

Il semblerait donc clairement que les enfants en bas âge ont pris parti pour les grands patrons et le capitalisme sauvage, voilà qui n’inspire pas confiance quant à la conscience syndicale des prochaines générations.